LUXEMBOURG
CATHERINE KURZAWA

L’Association Luxembourgeoise des Sommeliers fête ses 30 ans cette année, rencontre avec deux de ses responsables

C’est à l’étage du restaurant Chiggeri où il sélectionne encore les vins de la carte que Dino Totaro nous reçoit. Le secrétaire et trésorier de l’Association Luxembourgeoise des Sommeliers a certes délaissé la gestion de son restaurant au profit de sa fille mais il reste – telle une vigne – enraciné aux beaux flacons. Un symptôme que connaît bien le président de l’ALS, Gérard Guyon. Lui aussi a levé le pied sur la restauration mais reste fermement actif dans l’association qu’il préside. Celle-ci compte 85 membres. Rencontre avec deux épicuriens passionnés.

Quand et comment a été créée l’ALS?

DINO TOTARO L’ALS a été créée en 1988, elle a fêté ses 30 ans. Dans un restaurant qui à l’époque s’appelait la Bergerie – c’était un 2 étoiles au Michelin – et elle a été créée parce qu’à l’époque il y avait dans toute l’Europe des associations de sommeliers qui se créaient. Et ce qui était très médiatisé, c’était le concours de meilleur sommelier du monde où les Français étaient très forts. L’ALS a été fondée en 1988 pour envoyer un candidat au concours du meilleur sommelier du monde qui se déroulait à Reims.

Est-ce qu’un sommelier luxembourgeois est déjà arrivé haut classé dans ce concours?

TOTARO Oui. La toute première année en 1989, il y avait Fernand Klee qui était arrivé en finale. Et en 1992 Eric Beau est arrivé en finale à Rio de Janeiro.

Les métiers de la restauration font part de difficultés à recruter. Est-ce qu’il est difficile de recruter des sommeliers?

TOTARO C’est difficile car même à l’école hôtelière, les jeunes étudiants de la branche s’intéressent assez tardivement au vin. C’est rare que l’on trouve un jeune qui à 18-20 ans apprécie le vin, c’est très rare. On découvre le vin – je trouve personnellement – vers 20 ou 30 ans. Avant, on ne s’y intéresse pas trop. Il faut un âge plus mûr pour que les gens s’intéressent au vin.

GERARD GUYON Il y en a beaucoup qui découvrent le métier de sommelier et l’envie d’être sommelier bien après. Par le hasard des fois parce qu’il a goûté un vin quelque part qui a été le déclic. Et d’autres qui parfois disent avoir rencontré un ami de leur père qui leur ont communiqué la passion. Mais ce n’est pas une formation, ce sont des coups de cœur. Il y en a beaucoup comme ça.

Il y a quand même un problème pour trouver les sommeliers. Mais dans tous les cas c’est un métier de passionné…

TOTARO Oui. Dès qu’on a pris la mouche, on est passionné. C’est rare de trouver des gens qui sont dans la sommellerie et qui font ça par dépit. Quand on s’intéresse au vin, ça devient vite une passion. Ce n’est jamais passif. D’ailleurs cela s’en ressent. Le sommelier est surtout quelqu’un qui aime parler du vin, qui aime conseiller du vin. Et qui est content quand le client apprécie le conseil. Sinon ce n’est pas rigolo.

Quels changements connaît votre métier ces dernières années?

GUYON Du côté des alcools à la fin des repas ça c’est indiscutable. On les a pour décorer le restaurant (rire) parce qu’on n’en sert vraiment pas beaucoup. Mais le vin, il n’y a pas une restriction aussi marquée que ça. D’ailleurs, c’est une bonne idée de pouvoir emporter la bouteille entamée.

On peut faire cela?

GUYON Même dans les restaurants les plus étoilés qui soient; en France vous repartez avec votre bouteille si elle n’est pas finie. Il ne faut pas hésiter. Vous allez payer une bouteille 100 euros au restaurant, vous n’allez pas laisser 50 euros sur la table parce que vous avez peur du gendarme. A la maison vous pouvez la finir et vous pourrez rouler sous la table (sourire).

La cheffe étoilée belge Arabelle Meirlaen propose à ses clients de l’eau aromatisée en lieu et place du vin pour accompagner leur repas. La formule coûte 18 euros pour trois verres. Pourrait-on imaginer cela au Luxembourg?

GUYON Franchement, c’est du folklore.

TOTARO C’est surtout du folklore si on compte qu’on prend un verre, on met quelque chose (de l’eau à la base aromatisée) et qu’on puisse demander six euros pour ce verre. C’est astronomique. C’est 100 fois plus cher que le vin. Parce que le vin, au niveau de l’achat, c’est autre chose que de l’eau. Et donc c’est vendre très cher.

Il paraît que les gens veulent faire attention à leur santé…

GUYON Les gens comme ça, ils ne vont pas au restaurant. Ils restent chez eux, ils mangent ce qu’ils veulent mais ils ne viennent pas manger un filet de bœuf (sourire).

Pour vous au Luxembourg, vous avez le sentiment que l’alcool est diabolisé?

GUYON Pas tant que ça. Il se trouve que les gens sont plus raisonnables.

TOTARO Avant c’était beaucoup plus fréquent, la culture du café c’était tout autre chose. Dans chaque petit patelin il y avait un café et ça n’existe plus. Il y a eu une évolution assez considérable par rapport à l’alcool. Une baisse sensible déjà rien que pour ça.

Est-ce qu’il y a des spécificités dans votre métier au Luxembourg par rapport à la demande des clients?

TOTARO Non. Parce qu’on côtoie évidemment pas mal de sommeliers étrangers et ce qu’on constate, c’est que les sommeliers qui sont le plus actuellement en avance ce sont des pays qu’on ne connaissait pas forcément au niveau de la gastronomie. Le meilleur sommelier du monde pour l’instant est un Suédois. Ce sont des pays où on n’avait pas la coutume de voir des gens émerger à ce niveau-là. Et il y a pas mal de temps que la France était une référence au niveau sommellerie et gastronomie et elle arrive toujours à la 2ième place actuellement. Ce sont des nouveaux pays qui prennent la relève au niveau de l’excellence, cela se voit aussi dans la gastronomie avec des pays scandinaves puis l’Espagne. Il y a 20 ans, personne ne parlait de l’Espagne ou de la Suède comme centre d’excellence. Alors qu’aujourd’hui, c’est là que ça se passe. Sinon au Luxembourg, on est très influencé par la France, que ça soit la gastronomie ou la sommellerie.

GUYON Quand je vais à Bruxelles ou à Strasbourg, je rencontre des gens des Etats-Unis ou d’Afrique du Sud et ils connaissent des domaines au Luxembourg.

 

Photos: Editpress/Claude Lenert
Source : journal.lu